Au Sahel, l’innovation frugale prend les devants ! #SahelInnov

Propos recueillis par Samir Abdelkrim, à Niamey au Niger

Comment la télémédecine facilite l’enregistrement des naissances et aide à résoudre les problématiques d’état civil dans le Burkina Faso rural ? Par quels procédés la télé-irrigation à distance a permis au fil des années de reprendre sur le désert des dizaines d’hectares stériles aujourd’hui reverdit et exploités par les maraîchers du département aride du Tillaberi au Niger ? Ou encore comment les premiers drones “sahéliens” fabriqués en matériaux frugaux à Niamey ont permis aux agences internationales de secourir les migrants égarés dans le désert à la frontière nigéro-algérienne ? Ces innovations nées au coeur du Sahel ont été mises à l’honneur à Niamey du 20 au 23 février dans le cadre de la première édition de la conférence SahelInnov. Organisée par le Centre Incubateur des PME du Niger (CIPMEN), la manifestation aura rassemblé plusieurs centaines de participants et de nombreux incubateurs originaires de 7 pays sahéliens. Tous venus chercher des solutions qui “couvrent “la chaîne de valeur de nos problématiques sahéliennes qui sont concrètes et réelles : nourrir, soigner, éduquer, mettre fin au terrorisme” explique Almoktar Allahoury, le directeur du CIPMEN qui revient sur les objectifs de cette rencontre.

Quel fut l’objectif de cette première édition de Sahel Innov ?

Tous les spécialistes reconnaissent aujourd’hui que le Sahel est la région du monde qui enregistre les défis les plus pressants en Afrique et même dans le monde. Des défis liés au changement climatique, à la baisse des rendements agricoles, à l’explosion démographique  avec plus de 400 millions d’habitants en 2050. Sans parler du terrorisme qui se nourrit du déficit d’emplois pour les jeunes et déstabilise toute la région. Et dans le même temps il y a aussi tout une dynamique qui émerge dans les pays du Sahel autour de l’entrepreneuriat et des start-ups, pour résoudre un certains nombres de ces défis. L’objectif de Sahel Innov est de capitaliser sur cette dynamique pour répondre grâce à l’innovation aux défis du Sahel, à l’échelle des 7 pays qui compose la bande sahélienne.

Concrètement, quelles innovations seraient capable de changer la donne au Sahel ?

Je pense aux solutions innovantes dans le développement de la télé-irrigation qui permettent aux agriculteurs sahéliens d’optimiser avec une extrême précision l’irrigation de leurs cultures par téléphone, grâce à plusieurs capteurs qui collectent des données en temps réel comme la vitesse du vent ou la température du sol et de l’air. C’est une start-up nigérienne, Tech-Innov, qui a mis au point cette application qui distribue l’eau intelligemment et qui peut multiplier par 10 la surface des zones cultivables, mettant ainsi un coup d’arrêt à la désertification qui étrangle nos maraîchers.

Une autre innovation sahélienne qui fut exposée durant le Forum est le fruit d’une start-up locale nommée Drone Africa Services qui produit à Niamey des drones sahéliens assemblés à partir de matériaux adaptés au contexte local, c’est à dire très résistant au sable et au vent chaud du désert. Ces drones sont aujourd’hui utilisés en partenariat avec l’UNHCR pour repérer puis accompagner les groupes de migrants qui se perdent dans le désert, se retrouvant à la merci des contrebandiers qui écument les “zones grises” de la région du Sahel. Dans l’alimentaire, on peut également parler de la valorisation de produits comme les chenilles ou les criquets aux propriétés énergétiques remarquablement efficace pour lutter contre la malnutrition, avec une multiplication des start-ups sahéliennes dans ce domaine.

Y a t’il une spécificité de l’innovation sahélienne ?

L’innovation sahélienne est ancré dans le réel. Il s’agit d’une innovation de résilience, qui consiste à faire beaucoup plus avec beaucoup moins. Nous sommes dans de l’ingéniosité frugale à l’état pur. L’innovation sahélienne possède une connotation très verte, c’est à dire plutôt tournée vers les énergies renouvelables, les emplois verts, la préservation des ressources naturelles, le recyclage, etc. Le numérique vient s’y greffer avec beaucoup d’aisance à travers des applications au service de l’irrigation, de l’agriculture, de l’efficacité énergétique, etc.

Face à l’immensité des défis sécuritaires, démographiques, alimentaires, environnementaux que le Sahel doit affronter, n’est ce pas illusoire de penser que l’entrepreneuriat peut tout résoudre ? Ne faut il pas davantage insister sur le rôle des autorités publiques ?

Effectivement, les entrepreneurs ne peuvent pas tout faire. Mais ils peuvent, par leurs innovations, jouer un rôle de déclencheur. En apportant une “preuve du concept”, ils dégagent des options à explorer avec sérieux comme avec la télé-irrigation qu’il faudrait maintenant faire passer à l’échelle de tout le Sahel. L’entrepreneuriat permet de savoir rapidement si une solution fonctionne ou pas et cela fait gagner du temps, or le temps presse au Sahel. L’Etat a bien entendu un rôle stratégique à jouer pour favoriser ce passage à l’échelle ainsi que pour favoriser l’émergence d’écosystèmes favorables aux entrepreneurs. C’est pour cela que nous avons associé les autorités du Niger dans l’organisation de cet évènement qui fut inauguré par le Chef de l’Etat Mahamadou Issoufou.

Vous dirigez depuis 2014 le CIPMEN, le premier incubateur de start-ups du Niger. Quel bilan en matière de création d’emplois ?

Nous accompagnons actuellement 17 start-ups innovantes dans différents secteurs (énergies renouvelables, agrobusiness, environnement, numérique) qui ont au total généré 100 emplois directs et 500 emplois indirects, notamment pour des femmes nigériennes dans la transformation de matières premières. Nous voulons maintenant accélérer le rythme pour pouvoir accompagner plus de 50 start-ups chaque année, et 100 porteurs de projets au stade idée, à Niamey mais aussi dans toutes les régions du Niger.


Consultant, Blogueur et Fondateur de StartupBRICS (www.startupbrics.com), Samir Abdelkrim a lancé #TECHAfrique en avril 2014 : une aventure entrepreneuriale à la rencontres des startups africaines et des acteurs qui font battre le pouls de l'Afrique 2.0


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